Aujourd’hui, on rencontre Iden et Andréa, fondatrices de Panafrican Stories. Projet en plein essor qui souhaite rapprocher la jeunesse du continent africain et sa diaspora. Accompagnées de deux ambassadeurs sénégalais, Fatou et Badara, ainsi que d’une communauté grandissante et ouverte sur le monde, Panafrican Stories parle généreusement d’histoires, de parcours de vie, pour finalement nous raconter les leurs.
Vous avez monté l’association toutes les deux ?
Andréa : On a monté le projet toutes les deux, et ensuite la communauté est venue s’ajouter ainsi que les personnes avec qui nous travaillons : l’équipe de Panafrican Stories.
Iden : Mais c’est pas une association, en tout cas on n’a pas l’ambition d’en faire une association.
Vous avez quelle ambition alors ?
Andrée : Ahhh (rires) on a plus l’ambition d’en faire une entreprise.
Comment vous allez travailler avec l’histoire des gens ?
Iden : Ça va être simple, une partie a pour objectif d’étendre la communauté Panafrican Stories, et une partie est plus dédiée à du coaching et du développement de projets. Accompagner un projet de bout en bout pour supporter au mieux les objectifs qu’il intègre, suivi de toute une équipe.
Ces services sont proposés à des gens qui racontent leur histoire. Alors dans quel cadre ont-ils besoin de ce soutien ?
Iden : On essaye d’abord de créer une communauté, avec des centres d’intérêt commun, pour que chaque histoire et chaque parcours puisse être valorisé et gagne en visibilité. Bénéficier d’un rayonnement auprès de notre communauté, mais aussi via nos partenaires. Par exemple, des story tellers qui souhaitent développer des projets d’abord essentiellement vers le continent africain, qui essayeraient de développer leur activité dont toute une partie serait réservée à la diaspora. C’est compliqué de s’adresser aux deux communautés, puisqu’on n’est pas dans le même espace géographique, ces projets pourraient s’appuyer sur Panafrican Stories, pour les aider à la fois à communiquer sur leur initiative et en même temps à développer une plateforme qui serait accessible entre les deux continents africain et européen.
L’objectif est de mélanger les profils humains et les profils de carrière donc ?
Andréa : On se rend compte qu’il y a beaucoup de projets qui sont destinés à une communauté, et souvent quand un produit s’adresse à un certain public, il faut qu’on puisse connaître l’histoire qu’il y a derrière une démarche.
J’ai l’impression que c’est un phénomène assez générationnel. Aujourd’hui on aime raconter sa vie pour s’attacher à des produits.
Andréa : C’est pas vraiment raconter sa vie, mais c’est plutôt toucher les bonnes personnes. Viser le bon public. C’est important selon moi qu’on connaisse pourquoi une personne a choisi une direction en particulier pour son projet, parce qu’elle est forcément influencée par son parcours et donc son histoire.
Iden : Il y a vraiment une notion de valeurs liées à Panafrican Stories qui est essentielle pour nous. Beaucoup de gens sont venus nous voir avec des projets sans histoire, qu’on n’a donc pas retenus.
Quel a été l’élément déclencheur de Panafrican Stories ?
Iden : Tu veux la version officielle ou officieuse ?
Officieuse, bien sûr.
Iden : Mes parents viennent de Côte d’Ivoire. Je suis née et j’ai grandi en banlieue parisienne dans un cadre plutôt calme et privilégié. Je suis allée en écoles privées jusqu’à mon bac et j’ai toujours été entourée de français. Je me suis jamais vraiment posé la question de ma couleur jusqu’à ma dernière relation avec un homme qui faisait partie d’une communauté différente de la mienne. J’ai été avertie plusieurs fois par mon entourage que la pression sociale et culturelle pouvait être une impasse à notre relation. Je comprenais pas vraiment puisque nous étions tous les deux noirs (rires) même si nous avions des cultures et des religions différentes. Je me suis dit qu’on pouvait très bien construire une histoire avec nos différences et nos points communs. Il s’est avéré qu’au bout de quelques années, notre histoire s’est effectivement arrêtée pour toutes ces questions sur lesquelles on m’avait mis en garde au début. La pression sociale de son côté était trop forte pour que je puisse suivre. Je me suis rendu compte que je ne connaissais pas mon continent d’origine et même si mes parents sont ivoiriens, j’étais loin de cette double identité qui faisait partie de moi. C’est à partir de ce moment que j’ai décidé de voyager en Afrique. Dans un tout premier temps, je suis partie au Ghana, et c’est là où j’ai rencontré Andréa.
Pourquoi le Ghana ?
Iden : Je suis partie via une association, Hibaya, dont la présidente est une amie. J’ai vu des posts sur mon profil Facebook, et ça correspondait à ce que j’avais envie de découvrir à ce moment-là, alors j’y suis allée. En partant là-bas j’ai découvert que le Ghana était le pays même du Panafricanisme dont Kwame Nkrumah est le père. Tout est parti d’une histoire d’amour, qui m’a fait prendre conscience qu’il fallait que je me rapproche de ma vie.
Andréa : Le Ghana a été l’élément commun de nos deux histoires, d’ailleurs on était à côté dans l’avion !
Et toi Andréa, ton histoire alors qu’est-ce qui t’a amenée au Panafricanisme ?
Andréa : Je pense pas pour ma part remonter jusqu’à l’enfance (rires). J’ai grandi dans un lycée à Saint-Ouen en Seine Saint Denis, en ZEP (Zone d’Éducation Prioritaire). Mon père m’a toujours poussée à l’excellence dans tout ce que j’entreprenais. Avant mon déclic, j’ai toujours été consciente de ma culture congolaise parce que notre vie familiale était rythmée par les fêtes, la musique… j’ai vécu la diaspora de manière plus intense. Je savais que j’étais congolaise, mais seulement par ces moments de fête et de rassemblement familial. Toute une partie me manquait dans la connaissance de la culture congolaise. J’étais la congolaise en France, et la française au Congo. Quand je suis rentrée en école de commerce, j’ai eu un cours de géopolitique qui m’a beaucoup marqué. C’était sur une région du Congo qui s’appelle le Kivu. Ça fait plus de vingt ans qu’un conflit armé lié à la convoitise du minerai coltan est présent sur le territoire, et s’est transformé en génocide pour les habitants. Génocide qui est toujours d’actualité. Mes parents étaient congolais, je ne me rendais compte tout à coup que je n’étais même pas au courant d’un phénomène d’une telle ampleur dans mon propre pays d’origine. J’ai eu un choc. Ça a été le déclencheur de toute ma quête identitaire, congolaise au début, puis Panafricaine. Comme Iden, j’ai décidé de repartir sur les traces de mon identité. J’ai commencé à faire des recherches sur ce qui se passait. Je n’étais jamais partie au Congo, il manquait tout ce côté historique, tout ce que je n’avais pas vu, là où je n’étais jamais allée. Avec internet, la diaspora commençait vraiment à avoir une voix sur les réseaux sociaux. Je me suis retrouvée en fin de stage d’études. Le voyage au Ghana était justement ce qu’il me fallait. Je suis passée par le même réseau social, le même groupe et la même association qu’Iden. Tout correspondait, les dates, le contexte, alors je suis partie.
Iden : Le chemin professionnel aussi est décisif dans ce cheminement. J’ai compris qu’on n’était pas formés de la même manière, l’éducation diffère. On n’est pas représentés de la même façon au sein des institutions. Quand je parle d’éducation, j’intègre la notion familiale et scolaire, je parle de patrimoine culturel. Ça influe dans nos choix de vie. J’ai dû me former par moi-même, en regardant les autres. J’ai pu faire ça jusqu’à la phase du bac, mais ensuite j’ai eu besoin de soutien, de conseils des aînés qui sont capables de t’orienter sur les bonnes écoles et les bons parcours.
Vos parcours sont très différents, mais finalement vous avez toutes les deux une manière très créative d’approcher vos choix de vie. Est-ce que la figure du mentor est une question importante pour vous ?
Andréa : Ça faisait 7 ans que l’association avec laquelle nous sommes parties au Ghana organisait des voyages intracontinentaux, et pour la première fois, le voyage était ouvert à la jeunesse de la diaspora. On avait des intervenants inspirants, Felwine Sarr en faisait partie. Par les intervenants, puis par les histoires de ceux qui voyageaient avec nous, on a énormément appris et partagé. La matinée était consacrée à des conférences, et l’après-midi on était entre nous et on partageait, on visitait la ville. Les conditions n’étaient pas toujours faciles, mais c’était tellement intense et riche que ça n’avait aucune importance.
Iden : On a vu une évolution entre le début et la fin du séjour. Tous nos clichés ont été bouleversés. C’était très dur parce qu’en France on te ramène toujours à tes origines et que tu n’es pas non plus accepté par les habitants de ton pays d’origine. À la fin du voyage, on formait une équipe, même si on n’était pas localisés au même endroit. Entre les habitants du continent, leur connaissance du terrain, et nous, de par les études qu’on avait fait de l’histoire du continent, poussés par le désir d’en comprendre plus, on pouvait faire des choses extraordinaires ensemble. À la fin du voyage, on a fait une fête pour célébrer le séjour. On sait que la musique fédère, elle rassemble. On s’est reconnues par la danse. Comme quand on est arrivés et qu’on se mettait du produit antimoustique, un des participants nous a confié qu’il nous avait trouvés snobs. Il ne comprenait pas que, bien qu’on ait la même couleur de peau, en ayant grandi en France, on n’était pas habitués aux piqûres de moustique. Ça paraît complètement anodin ou anecdotique, mais le vrai langage des choses passe aussi par là. Il n’y a rien de plus intime que les gestes du quotidien. Une identité se forme aussi par là, et donc l’écroulement des préjugés et l’accès à l’autre.
Vous êtes reparties sur vos terres d’origine alors ?
Andréa : Justement c’est mon objectif premier, j’ai prévu un voyage de trois semaines, de visiter une ville et une partie de ma famille par semaine. J’ai hâte, mais je sais que ça va changer beaucoup de choses, que ça va remuer énormément. Je vais revenir changée, comme un voyage initiatique, une renaissance… si je reviens ! (rires) Beaucoup de gens ne connaissent pas le nom de leurs parents, de leurs grands-parents, alors que c’est tellement important. C’est ça le Panafricanisme, c’est : quelle est mon histoire, et à travers la mienne, quelle est notre histoire commune, et si je ne m’efforce pas de la connaître, elle va disparaître.
Vous n’avez pas l’impression que c’est notre génération qui se charge de cette transmission de culture ?
Andréa : Complètement. Beaucoup de parents sont arrivés en voulant effacer une partie de la culture. Ce n’était pas forcément voulu, c’est moins un choix qu’une erreur à mon avis. Je ne saurai jamais ce qu’ils ont vécu et donc j’aurai toujours du mal à expliquer et comprendre pourquoi ce changement de continent s’est traduit sous cette forme.
Iden : C’est dur de pouvoir s’intégrer à une société si différente. Ça peut passer par la langue, ne plus retourner au pays aussi… ce sont tous ces manques qui créent ce fossé qu’on porte. Tout ce qu’on ne connaît pas.
Est-ce qu’on peut dire que c’est le point commun du Panafricanisme ?
Iden : Oui, le point commun du Panafricanisme c’est de continuer à transmettre un savoir, une histoire, un passé, pour pouvoir construire un bel avenir. C’est toute notre démarche au sein de Panafrican Stories. Ce qu’on aime, c’est pouvoir donner la parole à des experts, sociologues, historiens, artistes, qui ont un discours construit et élaboré, ce qui va permettre d’inspirer les jeunes qui cherchent des réponses. Mais on tient aussi à faire parler des gens qui appréhendent toutes ces notions au quotidien, pour que chacun puisse s’identifier et être porté sur son propre chemin.
Qu’est ce que vous pensez de la vision du Panafricanisme en France aujourd’hui ?
Andréa : La vision du Panafricanisme en France est faussée parce qu’on ne sait pas encore bien ce que c’est. C’est complètement ouvert, alors qu’on a tendance à nous renvoyer l’image d’un mouvement ethnocentré, on l’a beaucoup entendu.
Iden : Il est important de rappeler que c’est un des mouvements les plus ouverts qui existe au monde et c’est justement son objectif premier que de créer des liens entre toutes les identités, même pour les non-africains qui chercheraient à comprendre, qui veulent se plonger dans cette histoire et qui ont simplement cette curiosité.
Qu’est ce que vous pensez de la nuance entre le mot identité et communauté ?
Andréa : Je pense que pour s’accomplir pleinement, on ne peut renier aucune facette de ce que l’on est. Je m’assume bien plus comme jeune française et congolaise maintenant, parce que je suis les deux, c’est que qui rend mon identité française encore plus belle. Quand la société réussira à construire un réel dialogue sur toutes ces questions-là, qu’on arrivera à en parler et à comprendre, on fera avancer les questions d’identité.
Dans cette célébration des cultures, le sujet de l’appropriation culturelle se retrouve souvent au cœur de l’attention, vous pouvez nous en parler ?
Iden : L’autre jour, on regardait un article d’une belge qui portait une veste en wax. C’est parti en dénonciation d’appropriation culturelle. Je trouve ça, encore une fois, un peu hypocrite dans le sens où on vit une époque de mixité, avec beaucoup de déplacements dans le monde, qui font qu’on est plus à même de s’intéresser à une culture qui est différente de la nôtre. Il faut bien regarder la définition d’appropriation culturelle, parce qu’on voit qu’aujourd’hui chacun l’interprète différemment sans vraiment en saisir le sens. On le voit régulièrement avec des femmes noires qui essayent de se blanchir la peau, qui se lissent les cheveux, alors qu’on sait que c’est impossible qu’une femme noire ait les cheveux lisses comme une asiatique jusqu’aux fesses. On a le même phénomène avec des femmes blanches qui se grossissent les fesses et les seins et qui se font des tresses, mais c’est normal, l’information circule tellement vite que tu peux avoir accès à tous ces mélanges et pour moi c’est de l’intérêt, plus que de l’appropriation.
Andréa : J’ai la même opinion et je suis heureuse de cette ouverture sur des éléments d’autres cultures parce que c’est le monde qui est comme ça. Je mets cependant une limite, celle qui va me déranger, c’est juste la notion de crédit. L’appropriation culturelle va intervenir à ce moment-là. Si une grande marque commercialise les boucles d’oreilles que je porte, dont tu me parlais tout à l’heure, et qu’elle écrit “Boucles d’oreilles torsadées”, là ça va me déranger. Alors que si la même grande marque, lors de la commercialisation de ces mêmes boucles d’oreilles, assigne le label “Boucles d’oreilles Fulani”, là on est dans le partage de cultures.
Un mot pour demain ?
Andréa : UBUNTU “je suis parce que nous sommes”. C’est un mot qui vient d’un concept humaniste sud-africain.
Iden : UMOJA, en swahili “unité”. C’est un mot qui me touche particulièrement parce que le swahili est une langue qui vient de Tanzanie et qui est devenue la langue majeure et principalement parlée de l’Afrique de l’est et centrale. Elle a été créée pour surpasser l’anglais, pour que chacun soit compris où qu’il aille.