Né aux confins du Nordeste brésilien, Nácar est un projet qui fusionne musique traditionnelle brésilienne avec des influences électroniques actuelles. Invoquant danse et introspection, Nácar milite contre la violence, pour la liberté d’expression et la reconnaissance des cultures ancestrales.
INTERVIEW LAURÉATES WOMENBEATS
NÁCAR, GROUPE LAURÉAT WOMENBEATS 2023 : SORTILÈGES AFRO-INDIGÈNES
par Charlotte De Kerros • 11 janvier 2024
Nácar est le groupe lauréat de la 5ème édition du dispositif WomenBeats qui s’est tenu de mars à juin 2023. Suite à l’accompagnement de Kamila, lead du projet, nous l’avons interrogée sur son identité, ce qu’elle nous transmet à travers sa musique, d’où lui viennent toutes ses inspirations à la fois brésiliennes et françaises, et ses projets futurs.
Illustration de couverture par Angelo Mucciante
Kamila, ton groupe et toi étiez lauréats de la 5ème édition de WomenBeats, raconte-nous ton parcours artistique et ton voyage musical entre le Brésil et la France ?
J’ai commencé très tôt dans la musique, je faisais du piano classique et puis à l’adolescence, j’ai commencé à faire aussi du théâtre. J’ai toujours aimé mélanger les langages, voir ce que le théâtre pourrait apporter à la musique et vice-versa. Quand je suis arrivée en France, je ne savais pas parler français et au bout d’un moment, j’avais besoin de travailler, j’ai donc commencé à jouer et chanter mes chansons. À ce moment est née la Kamila chanteuse et musicienne.
Comment as-tu fait naître le groupe Nácar ?
Je ne voulais pas jouer toute seule et j’ai demandé à des amis français que j’avais rencontrés au Brésil s’ils voulaient jouer avec moi, je savais que je voulais faire une fusion entre mon univers et l’univers de la musique électronique. Galael et Jeff ont accepté et nous sommes là aujourd’hui.
Pourquoi avoir postulé et qu’attendais-tu du programme ?
Quand j’ai vu l’appel à projet passer sur les réseaux sociaux, je me suis dit que c’était parfait pour mon projet. Je voulais agrandir mon réseau, rencontrer des professionnel·les de la musique et étendre mon réseau en dehors de ma région, la Dordogne.
Photo Sixtine De Kerros ©
Quelles sont les différentes influences que l'on retrouve dans Nácar ?
Nácar est très influencé par la musique afro-indigène du nord-est brésilien. Une musique très riche en polyrythmies et polyphonies, la musique et la danse de cette région du Brésil sont très entremêlés dans un esprit festif et assez souvent liés à la spiritualité. C’est une musique qui évoque assez souvent la transe. J’étais souvent dans des festivités traditionnelles au Brésil et c’est dans le rythme du Côco que j’ai vraiment trouvé l’inspiration pour mes premières chansons. Dans ma formation musicale au conservatoire, j’avais étudié la musique classique, mais je n’avais pas étudié la musique traditionnelle de ma région donc aller vers cette musique, c’est un acte de rébellion quelque part et en même temps une quête autour de mes racines culturelles, spirituelles et familières. J’apprécie également la musique des groupes de post-rock et électro-minimaliste étrangers, donc quand je suis arrivée en France, j’avais envie de faire une fusion de tout ça… ça a pris forme avec Nácar.
Peux-tu nous présenter une ou des artiste(s) brésilienne(s) qui t’inspirent ? Et une ou des artiste(s) française(s) ou franco-brésilienne(s) ?
Je rends ici mon petit hommage à Gal Costa, cet oiseau tropicaliste qui m’a toujours accompagné. J’aime beaucoup son expressivité et sa voix. Elle a chanté des morceaux de Gilberto Gil et Caetano Veloso entre autres, c’était la déesse du “Tropicalismo”. Rita Lee, un grand symbole de chanteuse rebelle, elle a marqué plusieurs générations au Brésil, c’est pour moi un grand symbole de liberté. Et Elza Soares, grande guerrière à la voix impressionnante, elle a chanté jusqu’au bout de sa vie, un de ces derniers albums s’appelle “Femme de la fin du monde” et dans un de ses morceaux, elle dit qu’elle va chanter jusqu’à la fin de ces jours. Je suis très fan de cette artiste, car elle me rappelle les femmes fortes de ma région… et artistiquement, j’adore. Malheureusement, nous avons perdu ces trois artistes incroyables dans les dernières années. En France, j’aime bien l’artiste La Chica (dont nous avons eu l’honneur de faire la première partie au Rocher de Palmer en mars 2023). Je pense que la musique de Nácar a des liens avec la musique de La Chica.
Comment composez-vous et produisez-vous la musique dans le groupe ?
J’écris d’abord les paroles, je chante les paroles, après j’y vais au piano et je crée l’harmonie. Je montre à Galael et Jeff pendant des périodes de résidences et nous arrangeons ensemble le morceau.
Peux-tu nous en dire plus sur les messages politique, social et féministe, ainsi que les valeurs que tu transmets dans ton art ?
Le Brésil est un pays très compliqué politiquement. Il y a énormément de problèmes et je ne peux pas passer à côté de toutes ces choses. Donc, dans mes morceaux, je parle par exemple d’un transféminicide (une histoire malheureusement vraie d’un meurtre barbare qui s’est passé dans ma ville au Brésil) ou d’héritage culturel donc de résistance culturelle, la culture afro-indigène brésilienne a toujours été vu comme quelque chose de très peu important, principalement par le fait que ce n’est pas forcément une culture chrétienne (même s’il y a beaucoup de syncrétisme religieux) et bien sûr par le fait que c’est “la culture des pauvres” donc soutenir cette musique, c’est devenu un symbole de résistance et de lutte. J’ai également écrit un morceau avec un sortilège contre l’ancien président fasciste. Dans mon pays, la foi est très importante, donc dans ce morceau, j’invoque la force de la femme, de la culture afro-brésilienne, de la culture indigène et de la nature pour faire tomber ce président. Pour moi, c’était la meilleure façon de faire quelque chose au moment où il s’est présenté pour un 2ème mandat, je n’habitais déjà plus au Brésil, donc ce morceau me permettait d’envoyer des énergies, de les canaliser et de me positionner. J’écris aussi des choses plus philosophiques et intimes… à découvrir prochainement.
« La culture afro-indigène brésilienne a toujours était vu comme quelque chose de très peu important, principalement par le fait que ce n’est pas forcément une culture chrétienne et bien sûr par le fait que c’est “la culture des pauvres” donc soutenir cette musique, c’est devenu un symbole de résistance et de lutte. »
Comme tu le sais, l’accompagnement prend en compte les problématiques rencontrées par les femmes (absence de modèle féminin, manque de soutien, d'accompagnement, d'entourage, environnement sexiste etc) via l’organisation de coaching spécifique, la sélection des partenaires, les sujets abordés, etc. Quel était ton regard par rapport à tout ça avant l'accompagnement, avais-tu conscience de ces freins ? As-tu déjà eu la sensation d’avoir été freiné par une de ces problématiques dans ta carrière ?
J’ai toujours été plus entourée d’hommes que de femmes dans la musique mais je n’avais pas conscience des chiffres. J’étais choquée quand j’ai vu les statistiques pendant la conférence de Majeur.es au Printemps de Bourges. Je ne me sentais pas freinée mais quand j’étais plus jeune, parfois, je ne savais pas comment réagir à certaines remarques et attitudes désagréables, j’étais trop “gentille”.
Est-ce que depuis l’accompagnement WomenBeats de nouvelles envies ont émergées pour ton groupe ?
Nous allons sortir l’EP “Chegança” cet automne et un single très prochainement. Nous sommes en train de créer de nouveaux morceaux, on va encore plus vers l’électro. Personnellement, j’ai envie d’être de plus en plus libre sur scène aujourd’hui. Je suis aussi comédienne et j’envie de plus travailler le côté performatif dans mon projet, c’est quelque chose de nécessaire pour moi. Nous sommes en train de créer des stratégies techniques pour que je puisse avoir plus de place pour chanter et danser.
Quelles sont les prochaines dates et actualités musicales de Nácar ?
Nous avons plusieurs dates :
11/05 Festival de La Vallée à Bourrou
25/05 Café Pluche à Comberanche-et-Épeluche
14/06 La maison blanche à Toulouse
03/08 Quai 21 à Montignac-Lascaux
10/08 Un été sur les quais à Périgueux
20/09 Öya Festival à Mauzens-et-Miremont
Et nous faisons partie des 4 lauréats du dispositif Les P’tites Scènes du Iddac 2024/2025 et ferons une tournée bientôt. Puis, nous travaillons sur la possibilité d’une tournée et résidence au Brésil entre novembre 2024 et mars 2025.