Enraciné dans le folklore grec, Elektre explore les sonorités urbaines entre trap et reggaeton pour impulser un live lancinant, énergique et dansant. Le trio Monika, Maïlys et Clément, fait le pont entre deux espaces, deux cultures, deux siècles : la Grèce des années 1920 et le Paris cosmopolite d’aujourd’hui.
INTERVIEW LAURÉAT·ES WOMENBEATS
ELEKTRE, GROUPE LAURÉAT WOMENBEATS 2023-24 : TRIO INFILTRÉ DANS LE FOLKLORE GREC ET L'ÉLECTRO
par Charlotte De Kerros • 21 juin 2024
Elektre est le groupe lauréat de la 6ème édition du dispositif WomenBeats qui s’est tenu d’octobre 2023 à février 2024. Nous avons interviewé Maïlys, Monika et Clément après l’accompagnement afin qu’iels nous retracent leurs parcours musicaux à travers la Grèce et la France et où iels en sont aujourd’hui.
Enraciné dans le folklore grec, Elektre explore les sonorités urbaines entre trap et reggaeton pour impulser un live lancinant, énergique et dansant. Le trio Monika, Maïlys et Clément, fait le pont entre deux espaces, deux cultures, deux siècles : la Grèce des années 1920 et le Paris cosmopolite d’aujourd’hui.
Illustration de couverture par Angelo Mucciante
Pouvez-vous chacun.e nous raconter en quelques lignes vos parcours artistiques respectifs ?
Maïlys : Je suis chanteuse, autrice et compositrice, apprentie percussionniste et ancienne beatboxeuse. Depuis mon arrière-grand mère, toutes les femmes de ma famille, grecques, sont autrices, grandir en écoutant leurs histoires a été ma première école. J’ai étudié pendant 3 ans le jazz en parallèle du chant lyrique puis, ait lancé une chorale de chant afro-américain et afro-latin caribéen. À côté de ça, je joue régulièrement en piano-bar et donne des cours de chant. J’ai sorti mon premier album de mon projet solo, Sibylle, qui mêlait toutes ces influences jazz, hip-hop et chanson française en racontant les féminités à l’aune de la mythologie grecque. C’était riche, peut-être un peu trop, j’ai beaucoup appris de ce projet-là : comment clarifier un message artistique et aller à l’essentiel sans perdre l’auditeur·ice.
Monika : Je suis chanteuse et compositrice d’origine grecque et congolaise. Je suis arrivée à Paris il y a 5 ans, après mes études de licence et master en lettres et en musicologie en Grèce. À Paris, j’ai eu la chance de pouvoir suivre un cursus de conservatoire complet avec des cours de chant en jazz, divers ateliers, cours de composition et d’écriture. Aujourd’hui, je fais mes propres projets avec des compositions et j’aime particulièrement revisiter la musique traditionnelle pour l’amener à ma propre réalité d’aujourd’hui, tout en respectant ses valeurs. À côté d’Elektre, j’ai créé mon projet solo Greco-futurisme, qui mêle jazz, musique congolaise et chanson grecque.
Clément : Je suis bassiste de formation, j’ai étudié à l’American School de Paris puis au conservatoire du 9e arrondissement en dernier cycle. J’ai eu beaucoup de groupes, quelques petites tournées, puis je me suis mis à la production musicale au Museum Studio, où l’on s’est en partie spécialisé dans les musiques orientales.
Quand et comment est né le projet Elektre ?
Le projet Elektre est né il y a maintenant 1 an, après une collaboration que nous avons faite à trois sur scène (Maïlys, Clément, Monika) à l’occasion de la sortie d’album de Maïlys avec Sibylle au Triton. Le public a réagi très intensément à cette collaboration, et comme on s’était éclaté de notre côté aussi, ça a fait tilt : il fallait proposer cette formule à trois. L’idée a vite été de rendre cette musique grecque, née dans les banlieues d’Athènes et intrinsèquement urbaine et parias, urbaine au sens actuel du terme. Cette musique-là était jouée dans les cabarets tard le soir, et nous avons voulu la rendre à son lieu originel, un siècle plus tard.
Que signifie Elektre ?
Elektre c’est l’héroïne mythologique grecques Elektra (ou Océanide), fille de l’Océan et mère des harpies, ces monstres mi-femmes mi-oiseaux. Le terme rappelle aussi les influences électroniques du projet, mais aussi la puissance électrifiante de la voix, du cri de douleur, qui traverse l’espace comme l’orage quand éclate l’harmonie des voix.
C’est aussi un voyage dans l’histoire des féminités grecques plurielles à travers le rebetiko, la mythologie, les sons électroniques, l’improvisation et la danse.
Crédits : Sixtine De Kerros
Pourquoi avoir postulé et qu'attendiez-vous de cet accompagnement ?
Vu que le projet n’avait que quelques mois, il nous fallait travailler sur tous ses aspects : musique, écriture, composition, mise en scène, structuration du projet, stratégie de mise en relation, démarchage. Nous voulions également créer un réseau professionnel, et être mis en relation avec des professionnel.les de la musique.
Cet accompagnement nous a permis d’établir des stratégies et planning claires pour la répartition des tâches de chacun, de mieux comprendre dans quel contexte de programmation le projet pourrait avoir sa place, d’initier un travail scénique qui a été totalement transformateur (avec notre coach Poundo notamment, la résidence scénique a été un moment clé de l’accompagnement), mais aussi de nous créer un entourage à la fois pro et bienveillant puisqu’à la suite de cet accompagnement, plusieurs structures du réseau de WomenBeats nous, on fait confiance et aujourd’hui, nous sommes accompagné.es, par le Tamanoir notamment, et par la MJC de Sceaux, ce qui change totalement la donne.
Il y a un an, nous avions été assister aux showcases des lauréates à Petit Bain et petit à petit, le long des différents sets, étions entrées dans la transe, avec le bouquet final de Soum-Soum. En tant que trio composé de deux femmes musiciennes et d’un mec, on avait compris que cet espace-là serait un de ceux qui pourraient nous donner une chance, et on se reconnaissait dans les valeurs du dispositif. Un an plus tard, on se retrouve sur la scène du Petit Bain, comme quoi la vie parfois nous réserve de sacrées joies !
Vous avez tous les trois un lien différent mais très fort avec la Grèce qui vous unit dans ce projet, pouvez-vous chacun·e nous le raconter ?
Maïlys : Comme je le disais au début de l’interview, la Grèce est ce qui me rattache à mes mères. Ma grand-mère notamment, qui m’a élevé, était prof d’Histoire de la Grèce Antique et Anthropologue à Paris VIII, autant vous dire que L’Iliade et l’Odyssée constituent à eux seuls mon inconscient (rire). Mes mères, intellectuelles, se faisaient une joie de pratiquer la langue de Molière auprès de moi, et c’est pourquoi je n’ai pas appris le grec comme je l’aurai pu. Puis, un peu trop tôt malheureusement, elles sont décédées, mère, grand-mère et arrière-grand-mère, et je suis restée seule avec Ulysse sur ma barque sans savoir comment rejoindre Ithaque. J’ai toujours eu cette sensation d’avoir grandi dans une culture, sans en maitriser la langue, si dense et compliquée, si intimidante. C’est pourquoi c’est si fort pour moi de pouvoir enfin prendre le temps de mieux le parler, de le chanter : je sens que je renoue avec une histoire qui a été coupée trop subitement, et ça me rend vraiment heureuse.
Monika : Je suis originaire de la Grèce, donc pour moi ce n’est pas un lien, ce sont mes racines et ce que j’ai de plus profond et de plus développé en moi. Chanter des chansons grecques est naturel, parce que je l’ai beaucoup fait et que j’ai grandi dans cette culture. C’est comme si je vous demandais ce que c’est la France pour vous (?).
Clément : je ne suis qu’un simple amoureux de la Grèce. À force de voyages, j’ai appris les rudiments de la langue, ainsi que la musique pour participer aux fêtes grecques.
En plus du rebetiko, quelles sont vos influences musicales et comment les intégrez-vous à votre musique ?
Maïlys : ohlala, il y a en a pas mal. Je passe beaucoup de temps au Brésil, où ma famille côté paternelle a créé racine, et la bossa / mpb, mais aussi le funk des favelas sont un peu ma 2ème maison musicale. J’ai aussi toujours été prise aux tripes par la soul et le hip-hop, les grosses 808 et 909, les rythmes lancinants, le trip-hop, les ragga sound system, c’est d’ailleurs de là que m’était venue la pratique du beatbox.
Dès les premières fois où j’ai réentendu le rebetiko, à l’âge adulte, m’est venu l’idée de le hip-hopiser, très naturellement.
En parallèle de cela, mon amour pour la technicité et la puissance vocale m’a mené à développer la voix lyrique, mais aussi l’agilité du rnb. Les mélismes sont au chant grec ce que les rifs et runs sont au rnb : l’agilité du rossignol. Et tout cela m’aide à trouver un placement vocal différent de ce qu’on attendrait d’une chanteuse grecque traditionnelle.
Monika : Je dois avouer que je circule beaucoup dans le milieu du jazz, dans les jams sessions. Pour moi, l’improvisation, c’est la vie. J’intègre dans nos compositions des moments d’improvisation vocale qui me font voyager. Je pense aussi que j’amène mon expérience de la musique grecque, avec des mélodies qui me sortent souvent de la tête et qui ressemblent aux mélodies grecques traditionnelles parce que je suis fortement inspirée de cette tradition sur laquelle est basée mon enfance et mes premières expériences musicales.
Clément : j’aime la musique électronique sous toutes ses formes et je l’intègre à Elektre par le biais de la production.
Crédits : Sixtine De Kerros
« Nous les femmes, on doit prouver une fois de plus qu’on fait bien notre métier, on doit assumer notre place une fois de plus, afin d’être considérées en tant qu’égales. » – Monika
Quel est votre processus de création à trois ?
Monika : Notre processus de création varie d’une chanson à l’autre : souvent quelqu’un.e apporte une idée de mélodie ou des paroles, ensuite, nous créons une bande son avec Clément qui gère Ableton mais tout en donnant nos idées avec Maïlys sur les sons qu’on va utiliser et les rythmiques etc. Je sais que nous avons tous les trois des références différentes, mais on arrive à les mettre en œuvre et à les partager. Généralement, on fait l’arrangement ensemble, en se basant beaucoup sur les harmonies vocales qu’on va utiliser. C’est un processus oral, qui passe surtout par l’oreille, on fait ce qu’on entend de plus naturel et pour moi, cela est très amusant, ça me permet de me concentrer sur mon oreille et d’apprendre en écoutant, ce qui est la vérité aussi pour les musiques traditionnelles.
Clément : l’un de nous trois apporte une idée, ou même un concept ; nous enregistrons très rapidement ce brouillon. J’essaie de rapidement donner une production convaincante à cette ébauche (parfois seul, parfois aidé de Maïlys) puis nous nous réunissons de nouveau pour établir la structure, la répartition des voix et finaliser.
Maïlys : franchement, ils ont tout dit !
Si vous deviez chacun·e citer 3 artistes qui vous ont inspiré·es dans la création musicale d’Elektre, quel·les seraient-ielles ? (Vous pouvez avoir des artistes en commun)
Maïlys : Roza Eskenazi, Marina Satti, Rosalía
Monika : La Chica, Ibeyi, Zaho de Sagazan
Clément : Rosalía, Marina Satti, Jaycen Joshua
Maïlys et Monika, en parallèle de l’accompagnement administratif, technique et artistique, WomenBeats prend en compte les problématiques rencontrées par les femmes et minorités de genre dans les professions artistiques. Quels étaient vos regards par rapport à ces sujets avant l’accompagnement ? Avez-vous déjà eu la sensation d’avoir été freiné par une de ces problématiques dans vos carrières ? L’accompagnement t’a-t-il été bénéfique sur certains de ces aspects ?
Monika : Cette année, j’ai eu l’occasion de suivre plusieurs ateliers dont le sujet était la musique entre femmes et les problématiques rencontrées quand on fait de la musique avec des hommes. Je suis pour l’égalité entre femmes et hommes et je pense que c’est très important de créer de l’espace pour que les femmes puissent se parler entre elles, créer entre elles, prendre de la place. Mais cela n’exclut pas les hommes à mon avis, parce qu’il faut qu’eux apprennent à nous laisser aussi la place, de penser d’une manière plus ouverte etc, donc je pense qu’il est important aussi d’apprendre aux hommes comment s’éloigner de ce qu’ils ont appris ou de ce qu’inconsciemment, ils ont développé. Je viens du monde du jazz, un monde très masculin, qui seulement maintenant commence à changer un peu : je vois plus de femmes musiciennes sur scène, plus d’accompagnements pour les femmes, de la structuration etc. J’ai déjà eu des expériences qui pourraient être considérées en tant que ‘sexistes’ en France, ce qui m’a choquée au début, car je pensais que la France était un pays vraiment avancé sur ces sujets par rapport à la Grèce, mais j’ai bien vu que non. Mes premières expériences de jam sessions n’ont pas été très joyeuses, et cela, parce que j’étais une femme chanteuse qui ne pourrait pas avoir beaucoup de place entre les hommes, saxophonistes ou autres. Mais cela ne m’a pas réellement freiné, au contraire, j’ai voulu prouver que je faisais ça sérieusement et aussi bien que je pourrai. Nous les femmes, on doit prouver une fois de plus qu’on fait bien notre métier, on doit assumer notre place une fois de plus, afin d’être considérées en tant qu’égales. L’accompagnement WomenBeats m’a permis de rencontrer d’autres artistes femmes qui sont superbes et qui sont inspirantes, d’avoir d’autres modèles, d’avoir des temps d’échange entre nous et d’élargir mon réseau. On peut dire qu’on ne se sent pas toutes seules, qu’on se sent accompagnées.
Maïlys : j’ai beaucoup senti ce frein dans le milieu du hip-hop en fait, dans l’univers du human beat box pour être précise. Jeune chanteuse, j’étais très enthousiasmée par cette communauté “underground” et j’ai mis du temps à comprendre qu’en tant que femme, je n’avais pas vraiment ma place dans les rounds, pas en tout cas en restant “féminine”. Il me fallait devenir un “bro”.
Mon précédent projet, Sibylle, a souffert du fait que les thématiques de l’agression sexuelle y étaient centrales. Au début, les gens vous disent que ce n’est pas à propos, car trop violent, puis après Me Too, ces mêmes textes qu’on avait écrits avant sont jugés “à la mode” ou “surfant sur le féminisme pour se faire voir”, et donc toujours autant ostracisés. C’est drôle de croire qu’un artiste puisse écrire tout un album sur une thématique par “mode”.
Je reste convaincue que ce projet hybride aurait eu sa place sur la scène musicale française s’il n’avait pas été, en plus d’être très fusion, féministe. Comme s’il fallait choisir entre avoir une caractéristique musicale forte ou une caractéristique textuelle forte. “Si tu veux être féministe, il faut qu’au moins la musique soit simple”. Mon erreur avait été de faire un truc “savant, chiadé, ET militant.”
Cependant, cet album, je l’ai quand même sorti et, maintenant, ces démons-là sont sortis et j’ai besoin de parler d’autres choses.
L’accompagnement WomenBeats m’a permis de rencontrer un entourage qui était sensible et sensibilisé à ces questions et c’était un soulagement que d’arriver dans un milieu safe, tout simplement, et de savoir qu’a priori l’entourage qu’on s’y crée est déjà conscient. Par ailleurs, la rencontre avec les autres lauréates a été très belle et forte, c’est beau de se lier d’amitié avec une alter-ego qu’on admire.
Que préparez-vous pour la suite ? (Sorties musicales, résidences et concerts)
Pleins de choses arrivent pour la rentrée !
Déjà, nous avons été sélectionnées parmi les 6 finalistes du Prix des Musiques d’ici et nous avons aussi remporté un accompagnement de la part du dispositif “Le Déclencheur” de la MJC de Sceaux grâce auquel on va avoir droit à des nouvelles résidences, coaching vocal et scénique, afin de nous préparer au mieux pour notre passage au MaMA le 17 Octobre 2024 !!
Pour préparer tout ça, nous avons prévu la sortie d’un nouveau titre en octobre-novembre, et la sortie d’un clip vers février-mars 2025.
D’ici là, nos prochaines dates en Ile-de-France :
Le 7 septembre au Festival Beats & Beers, le 17 octobre à Jacques Bravo dans le cadre du MaMA Music & Convention, le 30 octobre à la Péniche Anako, le 7 novembre au Point Fort d’Aubervilliers, le 8 novembre à la MJC de Chaville.